Le commerce des autographes en France s’est trouvé ralenti
par les évènements révolutionnaires de 1830. C’est à partir de 1835 que ce
marché rebondit et qu'il connait une croissance fulgurante. On recense 23 ventes entre
1836 et 1840 (11.000 documents environ), 39 ventes entre 1841 et 1845 (15.000
pièces), 33 ventes entre 1846 et 1850 (32.000 pièces). Ce qui nous donne un
total de 95 ventes pour 58.000 pièces vendues. Ce qui fait en moyenne 610 lots
par vente.
Le commerce est florissant. D’autant plus que ces chiffres
sont en dessous de la réalité. Pour Ludovic Lalanne et Henri-Léonard Bordier, dans leur étude "Dictionnaires de pièces volées dans les biblothèques publiques de France" (paru en 1851 chez Panckoucke), étude sur laquelle je m'appuie : «Quelques ventes ont pu nous échapper ;
ensuite, dans les catalogues qui ont servi de base à nos calculs, nous n’avons
pas pu tenir compte des articles ou l’on indique un dossier, par exemple, sans
dire combien de pièces il se compose ; enfin, dans la plupart des ventes,
le libraire apportait bon nombre de pièces importantes, qui n’étaient point
annoncées sur les catalogues ».
Cette croissance commerciale remarquée (et remarquable) des autographes
sur le marché des œuvres d’art et des objets de collections s’explique d'une part
avec le succès des premières grandes ventes des années 1820 (le premier
catalogue de ventes aux enchères entièrement consacré aux autographes date de 1822) et d'autre part
par un autre facteur encore plus déterminant : l’apparition subite et inattendue
d’importantes lettres autographes et d’auteurs qui n’étaient jusqu’ici jamais
apparus. Cet emballement "qualitatif" suscite un engouement extraordinaire auprès des collectionneurs.
Entre 1835 et 1837, une excitation parcourt les salles de
vente et l'esprit des autographiles avertis. En effet, des lettres autographes signées de Kepler, Daniel
Elzevir, Diane de Poitiers, Alexandre Farnèze, Ronsard, Villiers de L’Isle
Adam, le chevalier Bayard, Descartes, Rubens sont cataloguées. Du jamais vu. Extraordinaire.
Peu de personnes semblent alors s'étonner de la provenance de ces lettres. Devant le succès sans cesse grandissant des ventes, quoi de plus naturel pour un particulier de céder ses trésors cachés ?
Cependant, au même moment, des rapports alarmants provenant des établissements publics d'archivage parviennent sur les bureaux des gouvernants. L'inquiétude grandit : on signale un nombre croissant de vols un peu partout en France.
En 1831, de nombreuses disparitions avaient été mentionnées dans divers rapports et notes administratives notamment au sein de la Bibliothèque nationale. En 1836, une instruction judiciaire fut ouverte cette fois-ci dans certains ministères publics contre des employés accusés d'avoir dérobé des documents. En 1844 un procès se déroula à Paris contre un employé accusé d'avoir volé un autographe de Molière à la bibliothèque nationale (la pièce fut restitué par un arrêt de la cour royale).
Entre 1835 et 1840, pas moins de 500 pièces suspectes (inventoriées uniquement) ont été vendues lors des enchères de la salle Silvestre. Les marchands eux-mêmes, peu regardant sur la provenance des documents (mais conscients tout de même) participaient activement à la revente des documents illégalement sortis des archives.
La situation devenait alarmante pour les grandes institutions. La bibliothèque de l'Institut de France déplorait des pertes gravissimes. Elle possédait en effet 12 volumes ou cahiers autographes de Léonard de Vinci. 66 feuillets et un cahier de 18 pages sont portés disparus en 1840.
A la bibliothèque du Louvre, plusieurs lettres autographes acquises en 1822 lors de la vente Garnier se sont volatilisées. La bibliothèque nationale quant à elle a été littéralement pillée. Les pertes sont inestimables. Parmi celles-ci, des lettre de Rubens, de Paul Manuce, de Rembrandt, un sauf-conduit accordé par Charles le Téméraire à Louis XI, un volume de correspondances de Leibniz, des lettres autographes de Louis XIV...
Pour Ludovic Lalanne et Henri-Léonard Bordier, l'explosion du commerce des autographes trouve sa source dans cette longue série de vols qui au demeurant ne daterait pas du début des années 1830 mais du milieu du XVIIIe siècle.
On estime au minimum à 25.000 documents illégaux revendus à cette époque soit en enchères, soit de main à la main entre collectionneurs privés. Et encore cette statistique ne comprend pas les vols effectués en province... elle ne se base que sur six bibliothèques parisiennes.
On estime au minimum à 25.000 documents illégaux revendus à cette époque soit en enchères, soit de main à la main entre collectionneurs privés. Et encore cette statistique ne comprend pas les vols effectués en province... elle ne se base que sur six bibliothèques parisiennes.
Entre 1830 et 1848 les inventaires réalisés dans les bibliothèques et les dépôts d'archivage n'ont pas été systématiques. Tous les trésors autographes n'ont pas été catalogués comme ils auraient du l'être. Des milliers de documents n'avaient même jamais été mentionnés sur une liste ou sur des fiches. Ce dysfonctionnement ne pouvait qu'inciter aux vols sachant qu'aucune traçabilité ne pouvait être opérée. C'est ainsi que les ventes aux enchères ont été abreuvées de documents illégalement acquis mais dont personne ne pouvait connaître la provenance.
Depuis, de nombreuses précautions ont été prises dont l'estampillage des documents inventoriés et une surveillance humaine davantage accrue aux abords des salles de consultation. Ces efforts n'ont pourtant pas intimider les voleurs. Le XIXe et le XXe siècle sont jalonnées d'affaires de vols. Lalanne et Bordier qui ont étudié plusieurs années cette question des vols dans les bibliothèques ont même été intimidés et menacés s'ils ne mettaient pas un terme à leurs investigations. Preuve que les vols arrangeaient de nombreux intervenants et que le marché des autographes était au centre d'intérêts financiers importants.
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