lundi 30 avril 2012

Les fabuleux manuscrits de Stendhal : le trésor Berès

Henri Beyle dit Stendhal (1782-1843)
Vous aurez compris qu'il est impossible de classer les innombrables trésors du fonds Pierre Berès (1913-2008). C'est une succession de livres, de manuscrits et d'autographes inestimables. 
Si personnellement je devais en choisir quelques uns, j'aurais tendance à braquer votre attention sur deux lots exceptionnels : une version largement remaniée de La Chartreuse de Parme et le manuscrit autographe du Journal de Stendhal (570 pages). Et cela tombe bien car en abordant ces trésors stendhaliens je vous prépare à mon prochain article sur la quatrième vente Berès (20 juin 2006) durant laquelle ces deux lots furent présentés aux acheteurs.

Pour être tout à fait exact, ces deux manuscrits ne faisaient pas partie à proprement parler du stock de la librairie mais de la collection personnelle de Pierre Berès ("après cette vente je suis à poil" aurait déclaré ce dernier).  C'est d'ailleurs pendant l'exposition "Livres du cabinet de Pierre Berès", organisée à Chantilly en 2003, que les amateurs firent la découverte stupéfiante de l'existence de ces deux ensembles (c'était un secret bien gardé). Les stendhaliens ont en tout cas frémi d'envie lorsque ces documents furent annoncés à la vente. Ces mêmes stendhaliens ont aussi frémi de peur car qu'allaient-ils devenir ces joyaux de la littérature française ? 


Estimés entre 700.000 et 900.000 euros pour le Journal et entre 400.000 et 700.000 € pour La Chartreuse, les chercheurs craignaient beaucoup qu'ils deviennent inaccessibles (en retournant dans les mains d'un collectionneur privé). Pétitions, adresses et suppliques au ministère de la Culture, tout fut tenté pour qu'une institution publique (notamment la Bibliothèque de Grenoble, principale détentrice des archives de l'écrivain) s'en porte acquéreur et qu'ils ne quittassent le territoire français. 

Devant le nombre de lots précieux qui constituèrent cette vente, l'Etat était bien obligé de reconnaître qu'il ne pouvait tout préempter. Les arbitrages furent difficiles. Les manuscrits de Stendhal semblaient néanmoins être des priorités évidentes. 

La Chartreuse Berès

La Chartreuse de Parme fut le troisième roman de Stendhal (1839). A sa parution, Les critiques avaient été sévères et il ne rencontra pas un large succès auprès des lecteurs. C'est Balzac (1799-1850) qui redonne une seconde jeunesse à l'oeuvre  par un article élogieux dans La Revue de Paris : "M.Beyle a fait un livre où le sublime éclate de chapitre en chapitre". 


Néanmoins dans ce même article, l'auteur de La Comédie humaine émet des doutes sur le style (jugé négligé et incorrect) et l'architecture du récit. Stendhal, flatté qu'un aussi éminent auteur ait pris le temps de se pencher sur son livre, décide de reprendre son roman et de lui apporter les modifications nécessaires afin de répondre aux exigences balzaciennes qui lui recommandent entre autres de commencer le roman par la bataille de Waterloo et non par le tableau de Milan. 

De ce travail de réécriture, seuls trois exemplaires conservant des remarques de l'auteur, des développements, des corrections (tous autographes) nous sont parvenus : l'exemplaire de la Bibliothèque Historique de la Ville de Paris, l'exemplaire de la Pierpont Morgan Library (Etats-Unis) et l'exemplaire de Berès (nommée La Chartreuse Berès). Si les deux premiers sont connus des chercheurs, celui de Berès était une "terre inexplorée" par les plus grands spécialistes de Stendhal.

Or, celui de Berès est le plus annoté, le plus modifié, le plus précieux en résumé des trois exemplaires. Il s'agit de la version sur laquelle Stendhal écrivit : "Voici la copie qui doit servir à la 2e édition de la Chart. arrangé par déférence pour les avis de M. de Balzac".
Ce manuscrit avait appartenu auparavant à un chartiste (Paul Royer) qui l'avait ensuite transmis à Pierre Berès en 1955.  Cette copie manuscrite était présentée lors de la vente Berès comme "le plus important manuscrit littéraire d'une oeuvre romanesque française du XIXe siècle encore en mains privées". Ce manuscrit de 117 pages est divisé en 5 volumes In-4° chacun constitué de grands feuillets et de feuillets interfoliés tirés de l'édition originale. 

Le Journal

Le Journal de Stendhal, vendue lors de la même vente, est constitué de 5 cahiers manuscrits (reliés). Stendhal les a rédigés entre 1805 et 1814. Ils débutent alors que Stendhal est auditeur au Conseil d'Etat et administrateur de la Grande Armée. Ce journal n'est en fait qu'une partie du journal de Stendhal. En effet, à la fin du XIXe siècle, une grande partie des manuscrits le constituant fut déposée à la Bibliothèque de Grenoble


Seulement, il manquait des cahiers pour reconstituer dans son intégrité ce Journal. Il s'agissait de ceux détenus par Pierre Berès. Le libraire parisien les avait acquis auprès du bibliophile et libraire Edouard Champion.


Ces cahiers représentent l'un des rares témoins de l'écriture et du travail de Stendhal dans son état le plus brut et le plus émouvant. Concernant son contenu, Stendhal y dévoile toute l'intimité de ses réflexions : ses amours et leur instabilité, la permanence du bonheur, ses lectures, ses voyages, ses ambitions, son travail d'écrivain, la situation politique de la France, des dessins, des esquisses variées... une somme de détails éblouissants et capitale pour la compréhension de l'homme et de son oeuvre. 


Le geste de Berès

Qu'allaient être le sort de ces deux lots ? Et bien Pierre Berès, face aux remous que générèrent les appels des chercheurs et l'inquiétude des pouvoirs publics compétents, décida finalement de faire don à l'Etat de la version remaniée de La Chartreuse de Parme. C'est désormais la Bibliothèque Nationale de France (BNF) qui en est la propriétaire. 
Ce geste permit à l'époque de calmer les esprits et de permettre à la vente de se dérouler dans un climat serein malgré l'agacement des professionnels (Jean-Claude Vrain en tête) devant les nombreuses préemptions qui laissèrent les collectionneurs et les marchands frustrés et agacés

Le Journal quant à lui a été préempté par la Bibliothèque de Grenoble pour la somme de 800.000 € (932.942 € frais compris). 

1 commentaire:

  1. J'ai lu et entendu beaucoup de bruits divers et variés autour de ce don...

    Peut-on vraiment croire à un don désintéressé ? peut-être... P.B. était un libraire de génie, certainement doué du plus grand sens commercial que la librairie ancienne ait connue au cours du XXe siècle.

    Alors...

    Tiens, ça me fait penser que moi aussi il faut que je fasse ma déclaration d'impôts.... Malheureusement je n'ai rien à offrir à l'Etat. (sourire).

    B.

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