mercredi 18 avril 2012

L'autographe de Louis XIV : un problème épineux

Louis XIV (1638-1715)
La première signature royale apposée en bas d'un texte remonterait au XIIIe siècle, aux environs de 1296, sous le règne de Philippe le Bel (1268-1314). La première lettre entièrement autographe d'un roi de France, du moins la plus ancienne répertoriée, est celle de Charles V (1338-1380) en 1367. Cette pratique qui consiste donc à signer les documents les plus importants a été perpétuée depuis par tous les rois, empereurs et présidents.

Devant la multitude des actes et autres chartes à parapher, les rois de France ont vite fait d'être passablement débordés. Par conséquent, ils autorisaient par des procurations, à des hommes proches, une délégation de pouvoir. C'est sous le règne de Philippe le Bel que commença la grande épopée des signatures dites "secrétaire". 
Charles Quint (1500-1558), est considéré lui comme le premier souverain à user de la signature "tampon gras" (Carolus pour sa part), avec une contresignature de son secrétaire.

Louis XIV (1638-1715) est bien connu des collectionneurs d'autographes et des spécialistes en graphologie. Son secrétaire, Toussaint-Rose (1611-1701) ami intime de Molière, Boileau, La Bruyère, avait le don (et le malheur pour nous !) d'imiter à la perfection la signature du roi Soleil. Il poussait même son talent jusqu'à imiter l'écriture elle-même. A tel point, pour bien s'en rendre compte, que de nombreux experts, et pas des moindres se sont collés de grosses migraines à différencier l'authentique de la copie. 
Autant distinguer les signatures officielles et secrétaires de Louis XVI et dans une moindre mesure Louis XV est un jeu d'enfant pour un oeil exercé, autant le faire pour Louis XIV revient à se mesurer à un sérieux casse-tête chinois. La preuve en image : 

En haut la signature originale de Louis XIV, en bas celle de Toussaint Rose


Laissons Suzanne d'Huart qui aborde cette question de manière très pédagogique dans l'ouvrage d'Alain Nicolas, Les Autographes (Maisonneuve & Larose, 1988) nous présenter Toussaint Rose : "Un des quatre secrétaires de Louis XIV imitait parfaitement sa signature et son écriture. C'était l'académicien Toussaint Rose qui, doué de beaucoup d'esprit et d'une mémoire admirable, "avait la plume". Avoir la plume, comme l'écrivit Saint-Simon, "c'est être faussaire public". Il s'était exercé à imiter exactement l'écriture du roi afin qu'il n'y ait pas la moindre différence avec l'authentique".

Toussaint-Rose (1611-1701)
Cette contrefaçon parfaite cause encore beaucoup de tracas aux collectionneurs qui n'osent pas toujours s'aventurer dans l'achat d'un document autographe de Louis XIV. Ils se méfient beaucoup des lettres patentes et autres brevets (le roi pensent-ils à juste titre n'avait pas le temps, donc ils en déduisent que Toussaint Rose devait être l'exécuteur) et se sentent un peu plus rassurés lorsqu'il s'agit d'une correspondance entièrement autographe et intime. Mais les prix ne sont pas les mêmes. 
Pour vos donner une idée, un document signé par un secrétaire part généralement entre 250 et 400 €, une supplique signée avec une ligne autographe a été adjugée 1.800 € chez Piasa en décembre 2011, une billet autographe signé a été vendu 2.900 € chez De Baecques & Associés en mai 2011, et une lettre autographe signée à été adjugée 12.800 € chez Pierre Bergé en novembre 2010. 

Ce qui rassure un peu moins, ce sont les affirmations de certains historiens, notamment de l'historien Victor Du Bled (1848-1927), ancien rédacteur de la Revue des Deux Mondes, qui écrit dans son étude La société française du XVIe siècle au XXe siècle (1900-1913, Perrin) au sujet de Toussaint-Rose : "il remplit les fonctions de surintendant ou secrétaire principal du cabinet, il a la "plume", signe pour le roi, écrit en son nom, de son écriture et de son style, qu'il imite à s'y méprendre, faisant sa correspondance intime et secrète".  Intime et secrète... C'est dire qu'au delà des simples actes administratifs et de gouvernance, Toussaint-Rose était assez proche pour que le roi puisse lui dicter des lettres sentimentales, des confessions, des ordres à caractère militaires ? 

Reste aux collectionneurs de s'en remettre à l'expertise des marchands professionnels et des experts lors des ventes.


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