mercredi 11 avril 2012

Le commerce des autographes : le tournant des années 1820

Je crois, en m'avançant avec prudence, que la première vente aux enchères consacrée aux autographes date du 18 avril 1803 (vente Després de Boissy). Je me fie d'ailleurs à l'affirmation de monsieur de Lescure, auteur d'un ouvrage publié en 1865 "Les Autographes en France et à l'étranger. Portraits, caractères, anecdotes, curiosités" (Jules Gay éditeur). 
En effet, moi-même je ne trouve pas traces d'une quelconque vente au XVIIIe siècle, pour la simple raison que les collections n'étaient qu'une occupation mineure de quelques grands serviteurs de l'Etat. Le commerce d'archives et d'autographes était inexistant. Les soubresauts de la Révolution ont beaucoup contribué à l'éparpillement et à l'accès aux archives et donc à son commerce. Dans les années 1820, plusieurs ventes se succèdent et connaissent un succès qui ne se démentira pas par la suite puisqu'il dure depuis près de deux siècles.

Les premières ventes se sont déroulées dans la célèbre salle Silvestre, rue Neuve-des-Bons-Enfants à Paris (à proximité du Palais-Royal). Cette salle bien connue des bibliophiles (voir l'article sur le site du bibliomane moderne), a été le théâtre de la plupart des ventes d'autographes durant la première moitié du XIXe siècle.
Selon Lescure, de 1803 à 1830, il n'y eut que 28 ventes recensées. Il y en aura deux cents de 1830 à 1860: "vous voyez d'ici le crescendo". Les autographes attirent à mesure que ce siècle s'écoule un nombre de plus en plus important d'amateurs. Les années 1820 forment une décennie charnière dans laquelle des ventes mémorables se succèdent et permettent de susciter une curiosité croissante pour ce qu'on appelle alors les vieux papiers.

Georges IV (1762-1830)
A la vente Courtois en 1820, quarante lettres de Voltaire furent vendues ensemble pour 460 francs. En 1822, lors de la vente Pluquet, une charte signée de Robert II duc de Normandie et datée de 1088 trouve un acheteur pour 51 francs, une lettre de Saint-Vincent-de-Paul est adjugée 33 francs, et une lettre de Louis XIV part pour 45 francs.
Cette vente est restée dans les annales de par la présence dans la salle Silvestre du roi d'Angleterre Georges IV (et non Georges III comme l'avance M. de Lescure). Le monarque y était venu exprès pour acheter un ensemble de documents dont une lettre autographe de Mazarin (64 francs), une lettre de Louis duc de Vendôme (10 francs), une lettre de Turenne (61 francs), une magnifique lettre autographe signée de Louis XVI à Malesherbes au sujet de Beaumarchais (125 francs), une lettre autographe de Marie Antoinette (121 francs) et un brevet signé de la main de Bonaparte (20 francs). 

Le roi d'Angleterre n'est pas le seul monarque à s'intéresser de près aux autographes. Louis XVIII, à la vente du marquis Germain de Garnier en 1822, acquiert deux énormes volumes de documents manuscrits pour 14.000 francs (ce qui à l'époque est vraiment considérable). Parmi ces documents : une longue lettre de dix pages, entièrement autographe et signée de la main de Louis XIV à Madame de Maintenon, une lettre de Boileau, une autre de Racine, un important fragment autographe d'un mémoire rédigé par ce dernier en faveur des religieuses de Port-Royal. 
Autre résultat notable : la vente Bigot de Préameneu en 1823 dans laquelle un très heureux acheteur a pu d'approprier pour 200 francs le manuscrit entièrement autographe des mémoires de Madame de Montpensier.

Devant des résultats de vente aussi prometteurs, et la présence de collectionneurs aussi prestigieux que le roi de France et le roi d'Angleterre, de nombreux particuliers commencent à ventiler leur stock d'archives.
En 1823, huit lettres d'Henri IV sont vendues 1362 francs tandis qu'une lettre inédite de Voltaire à l'abbé Voisenon ne réalise que 6 petits francs... Les valeurs montent, d'autres déclinent subitement sans raison.
En mars 1828, à la vente Barbier, un extraordinaire manuscrit intitulé Procès de Galilée et comprenant des pièces curieuses et d'époque, ne trouve preneur que pour 21 francs. ce même manuscrit sera revendu quelques années plus tard 1000 francs.

Maximilien Robespierre (1758-1794)
A la fin des années 1820, certaines lettres trouvent leurs collectionneurs pour des prix tout à fait modestes. Les personnages de la Révolution n'ont toujours pas le vent en poupe, ils sont relégués au rang des "sans grade." En témoignent tous les documents manuscrits de Robespierre : son projet de décret organisant la création du tribunal révolutionnaire est vendu 15 francs en juin 1823 à l'auteur dramatique Guilbert de Pixérécourt (aujourd'hui, un document de ce type dépasserait allègrement les 100.000 €). Une lettre qui lui est adressée par son ami et conventionnel Le Bas part pour 2 francs. D'importantes notes autographes de Saint-Just sont vendues 4 francs. Si la Révolution semble susciter peu d'intérêt, les lettres d'Henri IV attirent encore et toujours et les convoitises (rien à moins de 100 francs).

La révolution de 1830 freina considérablement le commerce des autographes (et l'activité économique en générale). Néanmoins, les documents autographes deviennent des objets de valeurs et rejoignent ainsi sur le marché de l'Art : les peintures, les sculptures, les meubles et les livres.

Post-scriptum : Il semble que M. de Lescure ait commis une erreur concernant la présence de Georges III à la vente Pluquet. Celle-ci organisée en 1822 et le roi mourrant en 1820, il semble peu probable pour un esprit cartésien que son fantôme y ait assisté. J'ai donc volontairement modifié cette affirmation à prendre avec précaution.



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