mercredi 18 avril 2012

L'autographe de Louis XIV : un problème épineux

Louis XIV (1638-1715)
La première signature royale apposée en bas d'un texte remonterait au XIIIe siècle, aux environs de 1296, sous le règne de Philippe le Bel (1268-1314). La première lettre entièrement autographe d'un roi de France, du moins la plus ancienne répertoriée, est celle de Charles V (1338-1380) en 1367. Cette pratique qui consiste donc à signer les documents les plus importants a été perpétuée depuis par tous les rois, empereurs et présidents.

Devant la multitude des actes et autres chartes à parapher, les rois de France ont vite fait d'être passablement débordés. Par conséquent, ils autorisaient par des procurations, à des hommes proches, une délégation de pouvoir. C'est sous le règne de Philippe le Bel que commença la grande épopée des signatures dites "secrétaire". 
Charles Quint (1500-1558), est considéré lui comme le premier souverain à user de la signature "tampon gras" (Carolus pour sa part), avec une contresignature de son secrétaire.

Louis XIV (1638-1715) est bien connu des collectionneurs d'autographes et des spécialistes en graphologie. Son secrétaire, Toussaint-Rose (1611-1701) ami intime de Molière, Boileau, La Bruyère, avait le don (et le malheur pour nous !) d'imiter à la perfection la signature du roi Soleil. Il poussait même son talent jusqu'à imiter l'écriture elle-même. A tel point, pour bien s'en rendre compte, que de nombreux experts, et pas des moindres se sont collés de grosses migraines à différencier l'authentique de la copie. 
Autant distinguer les signatures officielles et secrétaires de Louis XVI et dans une moindre mesure Louis XV est un jeu d'enfant pour un oeil exercé, autant le faire pour Louis XIV revient à se mesurer à un sérieux casse-tête chinois. La preuve en image : 

En haut la signature originale de Louis XIV, en bas celle de Toussaint Rose


Laissons Suzanne d'Huart qui aborde cette question de manière très pédagogique dans l'ouvrage d'Alain Nicolas, Les Autographes (Maisonneuve & Larose, 1988) nous présenter Toussaint Rose : "Un des quatre secrétaires de Louis XIV imitait parfaitement sa signature et son écriture. C'était l'académicien Toussaint Rose qui, doué de beaucoup d'esprit et d'une mémoire admirable, "avait la plume". Avoir la plume, comme l'écrivit Saint-Simon, "c'est être faussaire public". Il s'était exercé à imiter exactement l'écriture du roi afin qu'il n'y ait pas la moindre différence avec l'authentique".

Toussaint-Rose (1611-1701)
Cette contrefaçon parfaite cause encore beaucoup de tracas aux collectionneurs qui n'osent pas toujours s'aventurer dans l'achat d'un document autographe de Louis XIV. Ils se méfient beaucoup des lettres patentes et autres brevets (le roi pensent-ils à juste titre n'avait pas le temps, donc ils en déduisent que Toussaint Rose devait être l'exécuteur) et se sentent un peu plus rassurés lorsqu'il s'agit d'une correspondance entièrement autographe et intime. Mais les prix ne sont pas les mêmes. 
Pour vos donner une idée, un document signé par un secrétaire part généralement entre 250 et 400 €, une supplique signée avec une ligne autographe a été adjugée 1.800 € chez Piasa en décembre 2011, une billet autographe signé a été vendu 2.900 € chez De Baecques & Associés en mai 2011, et une lettre autographe signée à été adjugée 12.800 € chez Pierre Bergé en novembre 2010. 

Ce qui rassure un peu moins, ce sont les affirmations de certains historiens, notamment de l'historien Victor Du Bled (1848-1927), ancien rédacteur de la Revue des Deux Mondes, qui écrit dans son étude La société française du XVIe siècle au XXe siècle (1900-1913, Perrin) au sujet de Toussaint-Rose : "il remplit les fonctions de surintendant ou secrétaire principal du cabinet, il a la "plume", signe pour le roi, écrit en son nom, de son écriture et de son style, qu'il imite à s'y méprendre, faisant sa correspondance intime et secrète".  Intime et secrète... C'est dire qu'au delà des simples actes administratifs et de gouvernance, Toussaint-Rose était assez proche pour que le roi puisse lui dicter des lettres sentimentales, des confessions, des ordres à caractère militaires ? 

Reste aux collectionneurs de s'en remettre à l'expertise des marchands professionnels et des experts lors des ventes.


lundi 16 avril 2012

Quand les vols alimentaient le marché des autographes : les années 1830-1850


Le commerce des autographes en France s’est trouvé ralenti par les évènements révolutionnaires de 1830. C’est à partir de 1835 que ce marché rebondit et qu'il connait une croissance fulgurante. On recense 23 ventes entre 1836 et 1840 (11.000 documents environ), 39 ventes entre 1841 et 1845 (15.000 pièces), 33 ventes entre 1846 et 1850 (32.000 pièces). Ce qui nous donne un total de 95 ventes pour 58.000 pièces vendues. Ce qui fait en moyenne 610 lots par vente. 

Le commerce est florissant. D’autant plus que ces chiffres sont en dessous de la réalité. Pour Ludovic Lalanne et Henri-Léonard Bordier, dans leur étude "Dictionnaires de pièces volées dans les biblothèques publiques de France" (paru en  1851 chez Panckoucke), étude sur laquelle je m'appuie : «Quelques ventes ont pu nous échapper ; ensuite, dans les catalogues qui ont servi de base à nos calculs, nous n’avons pas pu tenir compte des articles ou l’on indique un dossier, par exemple, sans dire combien de pièces il se compose ; enfin, dans la plupart des ventes, le libraire apportait bon nombre de pièces importantes, qui n’étaient point annoncées sur les catalogues ».  

Cette croissance commerciale remarquée (et remarquable) des autographes sur le marché des œuvres d’art et des objets de collections s’explique d'une part avec le succès des premières grandes ventes des années 1820 (le premier catalogue de ventes aux enchères entièrement consacré aux autographes date de 1822) et d'autre part par un autre facteur encore plus déterminant : l’apparition subite et inattendue d’importantes lettres autographes et d’auteurs qui n’étaient jusqu’ici jamais apparus. Cet emballement "qualitatif" suscite un engouement extraordinaire auprès des collectionneurs.
  
Entre 1835 et 1837, une excitation parcourt les salles de vente  et  l'esprit des autographiles avertis. En effet, des lettres autographes signées de Kepler, Daniel Elzevir, Diane de Poitiers, Alexandre Farnèze, Ronsard, Villiers de L’Isle Adam, le chevalier Bayard, Descartes, Rubens sont cataloguées. Du jamais vu. Extraordinaire.
Peu de personnes semblent alors s'étonner de la provenance de ces lettres. Devant le succès sans cesse grandissant des ventes, quoi de plus naturel pour un particulier de céder ses trésors cachés ?

Cependant, au même moment, des rapports alarmants provenant des établissements publics d'archivage parviennent sur les bureaux des gouvernants. L'inquiétude grandit : on signale un nombre croissant de vols  un peu partout en France.

En 1831, de nombreuses disparitions avaient été mentionnées dans divers rapports et notes administratives notamment au sein de la Bibliothèque nationale. En 1836, une instruction judiciaire fut ouverte cette fois-ci dans certains ministères publics contre des employés accusés d'avoir dérobé des documents. En 1844 un procès se déroula à Paris contre un employé accusé d'avoir volé un autographe de Molière à la bibliothèque nationale (la pièce fut restitué par un arrêt de la cour royale). 
Entre 1835 et 1840, pas moins de 500 pièces suspectes  (inventoriées uniquement) ont été vendues lors des enchères de la salle Silvestre. Les marchands eux-mêmes, peu regardant sur la provenance des documents (mais conscients tout de même) participaient activement à la revente des documents illégalement sortis des archives.

La situation devenait alarmante pour les grandes institutions. La bibliothèque de l'Institut de France déplorait des pertes gravissimes. Elle possédait en effet 12 volumes ou cahiers autographes de Léonard de Vinci. 66 feuillets et un cahier de 18 pages sont portés disparus en 1840. 
A la bibliothèque du Louvre, plusieurs lettres autographes acquises en 1822 lors de la vente Garnier se sont volatilisées. La bibliothèque nationale quant à elle a été littéralement pillée. Les pertes sont inestimables. Parmi celles-ci, des lettre de Rubens, de Paul Manuce, de Rembrandt, un sauf-conduit accordé par Charles le Téméraire à Louis XI, un volume de correspondances de Leibniz, des lettres autographes de Louis XIV...

Pour Ludovic Lalanne et Henri-Léonard Bordier, l'explosion du commerce des autographes trouve sa source dans cette longue série de vols qui au demeurant ne daterait pas du début des années 1830 mais du milieu du XVIIIe siècle.
On estime au minimum à 25.000 documents illégaux revendus à cette époque soit en enchères, soit de main à la main entre collectionneurs privés. Et encore cette statistique ne comprend pas les vols effectués en province... elle ne se base que sur six bibliothèques parisiennes.

Entre 1830 et 1848 les inventaires réalisés dans les bibliothèques et les dépôts d'archivage n'ont pas été systématiques. Tous les trésors autographes n'ont pas été catalogués comme ils auraient du l'être. Des milliers de documents n'avaient même jamais été mentionnés sur une liste ou sur des fiches. Ce dysfonctionnement ne pouvait qu'inciter aux vols sachant qu'aucune traçabilité ne pouvait être opérée. C'est ainsi que les ventes aux enchères ont été abreuvées de documents illégalement acquis mais dont personne ne pouvait connaître la provenance.

Depuis, de nombreuses précautions ont été prises dont l'estampillage des documents inventoriés et une surveillance humaine davantage accrue aux abords des salles de consultation. Ces efforts n'ont pourtant pas intimider les voleurs. Le XIXe et le XXe siècle sont jalonnées d'affaires de vols. Lalanne et Bordier qui ont étudié plusieurs années cette question des vols dans les bibliothèques ont même été intimidés et menacés s'ils ne mettaient pas un terme à leurs investigations. Preuve que les vols arrangeaient de nombreux intervenants et que le marché des autographes était au centre d'intérêts financiers importants. 

vendredi 13 avril 2012

Evolution des prix : le cas Claude Monet

Claude Monet (1840-1826)

Par curiosité en épluchant quelques catalogues dont je dispose dans ma bibliothèque, j'ai essayé de retracer les prix des lettres de Claude Monet des années 80 jusqu'à aujourd'hui. Ce petit article est loin d'être une étude précise ou un baromètre d'une fiabilité sans faille. Il faudrait pour arriver à un tel résultat consulter énormément de catalogues (librairies et ventes aux enchères comprises). Chacun en tirera sa propre conclusion sur l'évolution des prix qui sans surprise ont connu une forte augmentation. 

*1980 (Catalogue n°1 de la librairie de l’Échiquier, Maryse Castaing) : 
L.A.S de Claude Monet à Pissaro (8 mars 1873) 1/2 p. in-8° : 106.71 € (700 francs)

*Vente aux enchères. 1er décembre 1983 :
29 lettres autographes signées de Claude Monet (1922-1926) en tête de Giverny, au docteur Charles Coutéla, ophtalmologiste des Hôpitaux en 1914. A travers cette correspondance, on suit les étapes de ses craintes, découragements, joies, rechutes et enfin reconnaissance envers le docteur Coutela : 6860 € (45.000 francs).

*Vente aux enchères. 12 juin 1984 :
LAS de Claude Monet à Frédéric Bazille (16 août 1865), relative au tableau Le Déjeûner sur l'herbe : 762.24 € (5.000 francs). 

*Vente aux enchères. 13 décembre 1984 :
LAS de Claude Monet à un "cher ami" (5 août 1899) à propos de ses comptes personnels : 381.12 € (2.500 francs).

*1988 ( Catalogue n°3, Autographes Castaing, circa 1987/1988) : 
LAS de Claude Monet à Gustave Geoffroy. Giverny (18 novembre 1890) au sujet de l'inauguration d'une statue de Flaubert à Rouen : 533.57 € (3.500 francs)

*1994 (Catalogue n°809 de la Maison Charavay dirigée par Michel Castaing)
Lettre autographe de Claude Monet à un ami. Argenteuil (le 7 août 1873) : 426.86 € (2.800 francs).

*1995 (Catalogue Collections du passé. Galerie Jean-Raux) :
LAS de Claude Monet (vers 1902) de Londres du Savoy Hotel à sa femme Alice : 1.341 € (8.800 francs)

*Vente aux enchères. 15 avril 1999 :
LAS de Claude Monet (1er février 1901) de Londres à sa femme Alice. Mention du couronnement d'Edouard VII et de la "formidable cohue qui agite Londres" : 1.296 €


*Vente aux enchères. 17 décembre 2001 :
LAS de Claude Monet à Gustave Geoffroy (28 mars 1899) longue lettre lors d'un séjour dans la Creuse : 2.591 €.

*Vente aux enchères. 7 décembre 2004 :
LAS de Claude Monet à Gustave Geoffroy (21 août 1889) au sujet d'une exposition Monet-Rodin : 2.800 €

*2006/2007  (Arts et Autographes. Jean-Emmanuel Raux. Catalogue n°40) :
33 LAS de Claude Monet à M.Gravereau (1898-1908) : 33.000 € 
LAS de Claude Monet à Gustave Geoffroy (22 avril 1897) ou le peintre exprime son mal-être : 2.400 €

*Vente aux enchères. 5 novembre 2010 :
LAS de Claude Monet à Emile Blémont (16 avril 1875). Au sujet d'une vente d’impressionnistes à l’Hôtel Drouot en 1875 : 4.800 €.

*2010 (Autographes Demarest. Catalogue hiver 2010) :
LAS de Claude Monet à "ma chérie" (28 mars 1893). Monet peint la cathédrale de Rouen et projette l'aménagement du jardin des eaux et du bassin des Nymphéas : 20.000 €

*2011 (Arts et Autographes. Jean-Emmanuel Raux. Catalogue n°56 / 2011) :
LAS de Claude Monet à Gustave Geoffroy (11 juillet 1911) dans laquelle le peintre confie sa solitude à la suite du décès de sa femme Alice : 8.000 €

*Vente aux enchères. 14 juillet 2011 :
LAS de Claude Monet de Londres à sa femme Alice (25 mars 1900) à propos de son travail et de ses conditions : 4.600 €

*Vente aux enchères. 14 juillet 2011 :
LAS de Claude Monet de Londres à sa femme Alice (25 mars 1900) à propos de son travail et de ses conditions : 8.100 €

*Vente aux enchères. 14 juillet 2011 :
LAS de Claude Monet de Giverny à Geneviève Costadau-Hoschedé (14 septembre 1914) à propos de la guerre qui vient de commencer et où il confie toute sa sérénité malgré le contexte : 15.500 €

*Vente aux enchères. 9 décembre 2011 :
LAS de Claude Monet à Mme Paul Valéry (7 décembre 1919) à propos de la mort de Renoir : 12.500 €





mercredi 11 avril 2012

Le commerce des autographes : le tournant des années 1820

Je crois, en m'avançant avec prudence, que la première vente aux enchères consacrée aux autographes date du 18 avril 1803 (vente Després de Boissy). Je me fie d'ailleurs à l'affirmation de monsieur de Lescure, auteur d'un ouvrage publié en 1865 "Les Autographes en France et à l'étranger. Portraits, caractères, anecdotes, curiosités" (Jules Gay éditeur). 
En effet, moi-même je ne trouve pas traces d'une quelconque vente au XVIIIe siècle, pour la simple raison que les collections n'étaient qu'une occupation mineure de quelques grands serviteurs de l'Etat. Le commerce d'archives et d'autographes était inexistant. Les soubresauts de la Révolution ont beaucoup contribué à l'éparpillement et à l'accès aux archives et donc à son commerce. Dans les années 1820, plusieurs ventes se succèdent et connaissent un succès qui ne se démentira pas par la suite puisqu'il dure depuis près de deux siècles.

Les premières ventes se sont déroulées dans la célèbre salle Silvestre, rue Neuve-des-Bons-Enfants à Paris (à proximité du Palais-Royal). Cette salle bien connue des bibliophiles (voir l'article sur le site du bibliomane moderne), a été le théâtre de la plupart des ventes d'autographes durant la première moitié du XIXe siècle.
Selon Lescure, de 1803 à 1830, il n'y eut que 28 ventes recensées. Il y en aura deux cents de 1830 à 1860: "vous voyez d'ici le crescendo". Les autographes attirent à mesure que ce siècle s'écoule un nombre de plus en plus important d'amateurs. Les années 1820 forment une décennie charnière dans laquelle des ventes mémorables se succèdent et permettent de susciter une curiosité croissante pour ce qu'on appelle alors les vieux papiers.

Georges IV (1762-1830)
A la vente Courtois en 1820, quarante lettres de Voltaire furent vendues ensemble pour 460 francs. En 1822, lors de la vente Pluquet, une charte signée de Robert II duc de Normandie et datée de 1088 trouve un acheteur pour 51 francs, une lettre de Saint-Vincent-de-Paul est adjugée 33 francs, et une lettre de Louis XIV part pour 45 francs.
Cette vente est restée dans les annales de par la présence dans la salle Silvestre du roi d'Angleterre Georges IV (et non Georges III comme l'avance M. de Lescure). Le monarque y était venu exprès pour acheter un ensemble de documents dont une lettre autographe de Mazarin (64 francs), une lettre de Louis duc de Vendôme (10 francs), une lettre de Turenne (61 francs), une magnifique lettre autographe signée de Louis XVI à Malesherbes au sujet de Beaumarchais (125 francs), une lettre autographe de Marie Antoinette (121 francs) et un brevet signé de la main de Bonaparte (20 francs). 

Le roi d'Angleterre n'est pas le seul monarque à s'intéresser de près aux autographes. Louis XVIII, à la vente du marquis Germain de Garnier en 1822, acquiert deux énormes volumes de documents manuscrits pour 14.000 francs (ce qui à l'époque est vraiment considérable). Parmi ces documents : une longue lettre de dix pages, entièrement autographe et signée de la main de Louis XIV à Madame de Maintenon, une lettre de Boileau, une autre de Racine, un important fragment autographe d'un mémoire rédigé par ce dernier en faveur des religieuses de Port-Royal. 
Autre résultat notable : la vente Bigot de Préameneu en 1823 dans laquelle un très heureux acheteur a pu d'approprier pour 200 francs le manuscrit entièrement autographe des mémoires de Madame de Montpensier.

Devant des résultats de vente aussi prometteurs, et la présence de collectionneurs aussi prestigieux que le roi de France et le roi d'Angleterre, de nombreux particuliers commencent à ventiler leur stock d'archives.
En 1823, huit lettres d'Henri IV sont vendues 1362 francs tandis qu'une lettre inédite de Voltaire à l'abbé Voisenon ne réalise que 6 petits francs... Les valeurs montent, d'autres déclinent subitement sans raison.
En mars 1828, à la vente Barbier, un extraordinaire manuscrit intitulé Procès de Galilée et comprenant des pièces curieuses et d'époque, ne trouve preneur que pour 21 francs. ce même manuscrit sera revendu quelques années plus tard 1000 francs.

Maximilien Robespierre (1758-1794)
A la fin des années 1820, certaines lettres trouvent leurs collectionneurs pour des prix tout à fait modestes. Les personnages de la Révolution n'ont toujours pas le vent en poupe, ils sont relégués au rang des "sans grade." En témoignent tous les documents manuscrits de Robespierre : son projet de décret organisant la création du tribunal révolutionnaire est vendu 15 francs en juin 1823 à l'auteur dramatique Guilbert de Pixérécourt (aujourd'hui, un document de ce type dépasserait allègrement les 100.000 €). Une lettre qui lui est adressée par son ami et conventionnel Le Bas part pour 2 francs. D'importantes notes autographes de Saint-Just sont vendues 4 francs. Si la Révolution semble susciter peu d'intérêt, les lettres d'Henri IV attirent encore et toujours et les convoitises (rien à moins de 100 francs).

La révolution de 1830 freina considérablement le commerce des autographes (et l'activité économique en générale). Néanmoins, les documents autographes deviennent des objets de valeurs et rejoignent ainsi sur le marché de l'Art : les peintures, les sculptures, les meubles et les livres.

Post-scriptum : Il semble que M. de Lescure ait commis une erreur concernant la présence de Georges III à la vente Pluquet. Celle-ci organisée en 1822 et le roi mourrant en 1820, il semble peu probable pour un esprit cartésien que son fantôme y ait assisté. J'ai donc volontairement modifié cette affirmation à prendre avec précaution.



samedi 7 avril 2012

Les faux autographes sont-ils nombreux ?

Pour rebondir sur l'affaire Vrain-Lucas, et pour répondre à la fameuse question : existe t-il beaucoup de faux autographes ? Je reviens cette fois-ci avec quelques éléments de réponse.

Thierry Bodin, libraire-autographe réputé, expert près de la Cour d'Appel de Paris avait déjà abordé cet épineux sujet lors d'une conférence en 1997 donnée à Bourges. Pour commencer les faux peuvent être divisés en deux catégories : les fac-similés et les faux en écriture.

Fac similé d'un billet autographe de Louis XVI
Selon Thierry Bodin "les faux surgissent régulièrement sur le marché". La majeure partie est constituée par l'héritage des faussaires du XIXe siècle même si l'on connait quelques faux De Gaulle. Certains fac-similés posent de gros problèmes aux experts. Au milieu des années 70, une banque française avait offert à ses clients une magnifique reproduction d'une célèbre lettre de Charles Baudelaire. Quelques années plus tard, raconte Thierry Bodin, "A peu près chaque mois quelqu'un retrouve dans son grenier - en jurant qu'elle était pieusement conservée depuis près d'un siècle par son arrière grand-mère - cette lettre de Baudelaire. Pendant longtemps, je demandais à voir l'original, espérant bien qu'un jour ou l'autre la vraie lettre finirait par réapparaître. Finalement j'ai trouvé la lettre originale; je l'ai achetée; et maintenant je suis sûr que toutes celles qu'on me propose sont effectivement des fac-similés".

Fac similé d'une partition musicale de Mozart
Néanmoins, existe t-il tant de faux autographes que ça ? Est-ce si rentable pour un faussaire comparativement à un tableau ou un meuble qui rapporteraient eux beaucoup plus ? Alain Nicolas dans son ouvrage Les Autographes (Maisonneuve & Larose, 1988), semble penser le contraire. Si les autographes n'ont pas échappé à la cupidité des faussaires, "l'amateur doit cependant être rassuré : leur nombre est insignifiant, surtout si on le compare au nombre de faux rencontrés parmi les dessins, les tableaux, les meubles et autres antiquités".

Des faux "surgissent régulièrement" (Bodin) mais "leur nombre est insignifiant" (Nicolas)... les experts ont du mal à s'accorder. Ce qui est sûr c'est qu'ils existent. Cependant grâce aux compétences des experts et des marchands parisiens (qui ont vu défiler sous leurs yeux des milliers de documents), beaucoup de ces faux ont été retirés du marché ou sont connus. D'ailleurs cette compétence et cette expertise sont un gage d'authenticité. Rien ne vaut l'achat chez ces experts qui vous rembourseront si par accident votre autographe est un faux (code de déontologie du SLAM, le Syndicat Nationale de la Librairie Ancienne). Je conseillerai toujours aux collectionneurs de lettres autographes d'aller rendre visite à Thierry Bodin, Alain Nicolas, Jean-Emmanuel Raux, Nathalie Demarest, Frédéric Castaing ou à Jacques Henri Pinault pour ne citer que les vendeurs les plus connus (même si on peut débattre sur les prix pratiqués quelquefois, mais c'est un autre sujet).

Les méthodes qui consistent à garantir l'authenticité des autographes sont nombreuses. Concernant les fac-similés, Etienne Charavay (successeur de son père à la tête de la célèbre Maison Charavay, la plus ancienne librairie autographe du monde) dans son ouvrage Faux autographes : affaire Vrain-Lucas (1870), donne un moyen de vérification : "On prend un acide, de l'eau de javel par exemple, qui attaque l'encre ordinaire mais laisse intacte l'encre d'imprimerie. On fait l'épreuve sur une lettre de la pièce en suspicion : si l'acide enlève l'encre, la pièce est originale. Dans le cas contraire, c'est un fac-simile". La méthode semble bonne même si elle parait un peu brutale et dangereuse pour l'intégrité du texte.

Pour les faux en écriture, seul un œil exercé et vigilant peut déceler la supercherie. Déjà, l'examen du papier est primordial. Il doit être contemporain du supposé rédacteur ou signataire. Les faussaires arrachent parfois des feuilles tirées des livres anciens. Mais les formats de ces feuilles sont parfois inusitées au regard de l'époque à laquelle la lettre a été rédigée. L'encre est aussi un révélateur. Avec le temps, l'encre prend une couleur particulière prenant un ton jaune ou marron clair. "Une encre parfaitement noire sur une lettre qui daterait de plusieurs siècles pourrait faire douter de son authenticité" (Alain Nicolas).
Les traces de grattage sur le papier peuvent aussi laisser suspecter un vol (tentative d'effacer le cachet d'une bibliothèque ou des archives publiques). L'étude du contenu du document révèle parfois des anomalies (erreurs historiques, confusions de noms, anachronismes...).
Enfin, une bonne loupe reste un outil fort utile. Une écriture imitée est souvent retouchée et ces dernières sont facilement détectables.

Cet article n'étant pas exhaustif (faute de temps...), je reviendrai sur d'autres méthodes susceptibles d'aider les amateurs.









vendredi 6 avril 2012

Les ventes légendaires : la collection d'Alfred Bovet

Une des plus célèbres ventes d'autographes s'est déroulée entre 1883 et 1885 à l’Hôtel Drouot. Il s'agit de la vente de la collection d'Alfred Bovet. Le catalogue de la vente, rédigée de main de maître par Etienne Charavay et imprimé sous la direction de Fernand Calmette, constitue encore aujourd'hui une référence magistrale en la matière : "J'ai là sur ma table depuis près de dix mois, sinon davantage, un volumineux in-4°, de 880 pages qui forme bien le plus superbe ouvrage qui ait jamais été imprimé tant en France qu'à l'étranger sur le sujet qui nous occupe [les autographes]. Ce livre sera fréquenté comme une cathédrale par tous les dévots d'autographes". (Octave Uzanne, Les Zigzags d'un curieux).

Ce catalogue comprend 40 héliogravures en relief et 2000 reproductions en fac-similé dans le texte. Il a été tiré à 500 exemplaires dont 320 mis dans le commerce, 240 sur vergé teinté, 60 sur vélin blanc, et 20 sur papier impérial du Japon. Il contient 2138 lots répartis parmi les dix chapitres qui le structurent :

1/-Chefs de gouvernement
2/-Les Hommes d'Etat et personnages politiques
3/-Les demi-dieux de la Révolution française
4/-Les Guerriers
5/-Les Savants et Explorateurs
6/-Les Écrivains
7/-Les Artistes dramatiques
8/-Les Peintres, Sculpteurs et Architectes
9/-Les Huguenots
10/-Les Femmes

Avant de commenter cette vente, qui était donc Alfred Bovet ? Il était un riche industriel d'origine suisse, beau-frère d'Armand Peugeot et bibliophile invétéré. Il mit dix-huit ans à bâtir sa collection (commencée en 1869). Et au moment de s'en séparer, il souhaitait faire de son catalogue un ouvrage de référence en bon bibliophile qu'il était. Etienne Charavay dans sa préface au catalogue écrit : "M.Alfred Bovet, obéissant à sa délicate nature de Bilbliophilie, a voulu que son catalogue fût un modèle d'art typographique. Il appartient à l'école de ceux qui considèrent un livre comme une oeuvre d'architecture dont tous les éléments doivent se combiner de manière à présenter à l'oeil l'apparence de la grandeur et de l'harmonie". Le résultat est à la hauteur de ces ambitions.

Concernant les autographes, peu de collections dans l'histoire peuvent rivaliser avec celle-ci. Avant de décrire son contenu, laissons une fois de plus Etienne Charavay nous expliquer comment procédait Alfred Bovet :  "Le choix des pièces a été la constante préoccupation de M.Bovet. L'état de conservation des autographes le touchait particulièrement. Toute lettre défectueuse sous ce rapport était impitoyablement bannie, à moins qu'elle ne rachetât ce grave défaut par un intérêt exceptionnel (...) M.Alfred Bovet a toujours préféré les pièces autographes aux simples signatures, et il a repoussé de prime d'abord les lettres non signées. A cette règle, il a dû faire des exceptions. Il était trop heureux par exemple de trouver une signature de Pierre Corneille et une de Molière, et s'il eût pu combler de cette manière quelques vides regrettables dans la littérature française comme Rabelais, Pascal, et La Bruyère, il n'y eût pas manqué".


Comment énumérer tous les trésors présents de ce catalogue ? Je me conterai seulement de ne citer que les perles rares : 

Louis XI (LS), Marie Stuart (PS), François Ier (LAS à Charles Quint), Georges Wshington (LAS), Marat (LAS), Hébert (PAS), Desmoulins (LAS), Saint-Just (LAS), Wellington (LAS / déclaration contre Napoléon en mars 1815), Poniatowski (LAS), Isaac Newton (PS), James Cook (LAS), La Pérouse (LAS), Darwin (LAS), Ronsard (LAS), Saint-Vincent-de Paul (LAS), Descartes (LAS), Corneille (PS), La Fontaine (PAS), Molière (PS), Marivaux (LA), Montesquieu (LAS), Racine (LAS), Voltaire (LS à Diderot), Diderot (LAS à Voltaire), Luther (LAS), Melanchton (LAS), Leibniz (LAS), Goethe (LAS à Schiller), Hegel (LAS), Erasme (LAS), Francis Bacon (PS), Locke (LAS), Jonathan Swift (LAS), Hume (LAS), Machiavel (LAS), Edgar Allan Poe (LAS), Nicolas Poussin (PS), Chardin (Dessin), Maurice Quentin La Tour (PAS), Fragonard (LAS), David (dessin de Bonaparte), Géricault (LAS), Gustave Courbet (LAS), William Turner (LAS), John Constable (LAS), Rubens (LAS), Rembrandt (autoportrait à la plume), Jean Calvin (LS), Gabrielle d'Estrées (PS).

Les résultats les plus notoires par ordre décroissant sont :

*Jean-Baptiste Poquelin dit Molière (PS) : 2500 francs
*Pierre Corneille (PS) : 1785 francs
*Johannes Reuchlin (LAS) : 1200 francs 
*Alain René Lesage (LAS) : 1010 francs
*Napoléon Bonaparte (LAS) : 1000 francs
*Martin Luther (LAS) : 1000 francs
*Robert Burns (LAS) : 800 francs
*Franz von Sickingen (LAS) : 720 francs
*Catherine de Médicis (LAS) : 610 francs
*Georges Washington (LAS) : 600 francs
*Pierre Paul Rubens (LAS) : 550 francs
*Théodore Géricault (LAS) : 530 francs

Il me serait impossible de vous donner tous les résultats ni de décrire les innombrables lots merveilleux qui forment ce catalogue. Alfred Bovet, Etienne Charavay et Fernand Calmette ont légué aux générations de collectionneurs un outil indispensable, une "bible" pour les autographiles. Un très bel exemplaire est actuellement en vente sur AbeBooks. Il est cher mais inestimable pour l'amateur. 



















jeudi 5 avril 2012

Les autographes de Molière : le saint-graal ?

Les documents autographes rédigés ou signés de Jean-Baptiste Poquelin dit Molière (1622-1673) font partie de la catégorie des introuvables et des plus précieux. Nombreux ont été les bibliophiles à les rechercher désespérément. Alexandre Dumas se serait même endetté gravement en achetant  auprès de la Maison Charavay un document signé du grand dramaturge.

Document signé par Molière appartenant à la Comédie française
La Comédie Française en possède un grâce à une donation d'Alexandre Dumas fils qui l'avait lui-même acheté à la fameuse vente d'Alfred Bovet (1884). Aujourd'hui, hormis les Archives nationales, on ne connait que 5 documents signés de Molière appartenant à des collections privées. Leurs dernières apparitions dans une vente publique datent de 1978 (quittance signée, adjugée à 165.000 F, c'est à dire environ 25.155 €) et en 2008 (document signé "Jean-Baptiste Poquelin - Molière" le 21 juin 1667, adjugé 406.212 € chez Bonhams à New-York).

On ne connait pas à ce jour de lettre entièrement autographe mais seulement des documents signés. Beaucoup de polémiques ont été soulevées sur l'authenticité de certains d'entre eux. L'une des plus connues concernent une trouvaille que fit en 1894 un magistrat bibliophile, M.Piganiol sur les quais de Paris. Chez un bouquiniste notre tombe sur un petit Elzevir in-16 relié "De Imperio Magni Mogolis Sine India Vera Comment Arius E Variis AuctoribusCongestus, cum privilegio".Ex officina elzeviriana, anno MDCXXXI. Cet Elzevir, rarissime, relié en vélin, comprenant 285 pages, portait en dessous de son frontispice une signature "J.B.P Molière" ainsi qu'une indication de prix écrite par la même main "1 l 10 s".

Cette découverte sensationnelle ne s'arrête pas là. On découvre par ailleurs au dos de l'elzevir qu'il était écrit directement sur le vélin une mention manuscrite "Empire du Mogol" ainsi qu'une date "Elzev. 1631".  La question était donc de savoir si ces inscriptions étaient aussi de la main de Molière.
Malheureusement, et je reste sur ma faim, je ne retrouve aucune trace de ce livre qui aurait pu appartenir à Molière. Qu'est-il devenu ? La réponse se trouverait dans un livre édité en 1967 et écrit par Suzanne Dulait et intitulé Inventaire Raisonné des Autographes de Molière (Librairie Doz, Genève) qui rapporte cette curieuse anecdote (je cherche un exemplaire...)

Donc pour l'autographile, il faudra se faire une raison. Il a peu de chance de posséder un jour une lettre signée de Molière. A moins d'être excessivement riche bien que la préemption de l'Etat semble quasi assurée.  Au total, on dénombre une vingtaine de documents sur des actes notariés dont la signature est authentifiée. Le mystère est entretenu quant à l'absence de tout manuscrit de la part d'un auteur si prolifique. Il existe bien deux petites quittances sur lesquelles on trouve deux phrases manuscrites (les fameuses quittances de Pézenas) mais elles ont formellement été reconnus comme n'étant pas de la main de Molière.




mercredi 4 avril 2012

L'affaire Vrain-Lucas : une arnaque autographe retentissante

Michel Chasles (1793-1880)
Tout débute en 1861 lorsque le mathématicien Michel Chasles rencontre un homme de 45 ans venu respectueusement lui demander quelques conseils sur un lot de vieux documents qu'il venait d'acquérir et dont il semblait ignorer les auteurs. Michel Chasles, polytechnicien, membre de l'Institut de France, officier de la légion d'honneur, sommité dans son domaine (la géométrie), donc personne instruite, s'empresse d'aider cet inconnu qui dit s'appeler Denis Vrain-Lucas.

Ce dernier commence à soumettre à l'expertise de Chasles quelques documents.Quelle surprise pour le mathématicien de tomber sur une lettre du philosophe Pascal datée de 1649 et traitant des lois de l'attraction, vingt ans avant Newton ! Stupéfait, pour ne pas dire surexcité par cette découverte, Chasles demande illico presto à Vrain-Lucas de lui faire parvenir les autres documents dont il dispose. 
Vrain-Lucas, qui se dit prêt à lui céder toute la collection, temporise en prétextant que sa collection est si importante qu'il lui faudrait au minimum trois voitures pour la déménager. Il propose alors d'apporter de temps en temps deux ou trois documents choisi au hasard (se déclarant bien trop ignorant pour connaître la valeur de sa collection).

C'est alors que durant plusieurs semaines, notre Vrain-Lucas se présente chez Chasles avec ses trouvailles extirpées de ses prétendus cartons. Chasles voit alors défiler sous ses yeux des lettres et autres documents de Galilée, d'Alexandre le Grand (à Aristote), d'Archimède (à Néron), de Pythagore, de Marie-Madeleine (à Jésus),  de Vercingétorix, de CléopatreJules César)... (!) 
Chasles, dans un état de transe (facilement imaginable) proche de la folie, rachète un à un les documents amenés par Vrain-Lucas. Chaque semaine, Chasles croit devenir fou. Vrain-Lucas lui apporte des lettres des plus grands savants et mathématiciens de l'histoire. Chaque lettre contredit, démontre, bouleverse les croyances établies, notamment sur les mathématiques.

Un beau jour, Chasles, fébrile, décide de partager ses découvertes sensationnelles à ses collègues de l'Institut. Il vient alors montrer aux yeux des académiciens les documents lors d'une séance le 8 juillet 1865.

Dans son livre, La Petite Histoire, l'historien Théodore Gosselin (G. Lenotre) raconte :

"L'histoire de la Science était à refaire (...) Chasles, triomphant, déposa sur le bureau les lettres de Pascal (...) Tout le monde savant était en émoi et la gloire de Chasles suscitait bien des jaloux. Ne se trouva-t-il pas un envieux confrère pour insinuer que ces textes supposaient l'emploi de formules et de mesures que n'avait pu connaître Pascal ? Mais Chasles avait de quoi riposter : Vrain-Lucas, au fur et à mesure des discussions, lui procurait de nouvelles lettres dans lesquelles Pascal lui-même — tant avait été merveilleux le prévoyant génie de ce grand homme — rétorquait, plus de deux siècles à l’avance, les arguments des contradicteurs. Les preuves surabondaient ; à chacune des séances Chasles arrivait muni de nouvelles armes, et les sceptiques durent s’incliner, ou du moins se taire, quoique Leverrier eût prononcé le mot de « faux » et que les savants étrangers, entrés en lice, se déclarassent ahuris des stupéfiantes révélations qui leur venaient de France".
(G. Lenotre, La Petite Histoire, l'Affaire Chasles ou l'Arnaque Vrain-Lucas).

La supercherie fut rapidement démasquée  et des preuves matérielles furent rendues public quant à la fausseté des documents. Alors, tout le monde s'est posé la même question (parce que, avouons le, on continue encore de rire de la crédulité de Chasles), comment un homme si brillant a pu se laisser berner ? Même si Vrain-Lucas prenait un grand soin à contrefaire les lettres (choix du papier, de l'encre, écriture et langue adaptée), comment pouvait-on croire que des lettres de Pythagore ou de Cléopâtre subsistaient encore ? (si elles aient un jour existé).

L'affaire fit grand bruit. Jugé en février 1870 devant le tribunal correctionnel de Paris, Vrain-Lucas fut condamné à deux ans de prison. Après l'enquête, on estima que le faussaire avait écoulé pas moins de 27.000 faux documents à diverses personnes dont Chasles, pour un montant total de 140.000 francs.
Certaines de ces lettres sont aujourd'hui exposées à Paris au musée de la Police (Maubert-Mutualité). Beaucoup ont disparues lors des incendies de 1871. En reste t-il encore en circulation ?





mardi 3 avril 2012

L'autopen : fausses et vraies signatures


Il est parfois extrêmement difficile de différencier une signature imprimée d’une signature manuscrite. Il est fréquent de trouver des cartes de vœux ou des lettres tapuscrites/dactylographiées signées sans que l’on sache si les mots et les signatures sont authentiques.   Les collectionneurs sont très souvent confrontés à cette problématique lorsqu’il s’agit de documents signés par les Présidents des Etats-Unis.  En effet, il existe ce que les américains appellent les « autopen ». 
Il s’agit d’une machine reproduisant mécaniquement et fidèlement n'importe quelle signature "programmée". Nous n’étions pas assez naïfs pour penser que John Fitzgerald Kennedy ou Ronald Reagan signaient tous les documents émanant de la Maison Blanche ! Car entre les invitations, les cartes de remerciements, la réponse aux courriers des citoyens, les notes stratégiques, les messages aux députés et aux sénateurs, les missives diplomatiques, etc., le président passerait ses journées sur son bureau stylo plume à la main ! 

L’autopen aurait été inventé au début du XIXe siècle. Selon les spécialistes, ce serait Harry Truman (président des Etats-Unis entre 1945 et 1953) qui aurait pour la première fois utilisé ce procédé (notamment pour signer les chèques... ). Ses successeurs, jusqu’à Barack Obama, ont tous utilisé cette machine au grand dam des collectionneurs. Et La pratique, circonscrite un temps au bureau ovale, s’est propagée chez certains artistes. 

Il est apparaît très difficile d’identifier un autographe signé par une machine autopen. La meilleure des méthodes restent une comparaison scrupuleuse avec les signatures authentiques recensées par les spécialistes. Un site Internet crée par le suisse Markus Brandes met en ligne une base de données très intéressante afin de démêler le faux du vrai (http://www.isitreal.com/) . De Kennedy à Mitterrand en passant par Chagall ou Einstein, Is It Real propose une bibliothèque de signatures autographes et des comparaisons particulièrement intéressantes et instructives pour l’amateur.  

La profusion semble t-il de ces signatures automatiques semble pénaliser certains thèmes de collections, et plus précisément ceux traitant de la vie politique américaine après 1945. Ceci explique t-il pourquoi les amateurs trouvent si peu de lettres autographes de Kennedy, de Nixon ou d’Eisenhower dans les ventes aux enchères françaises ? A moins peut-être que la curiosité pour ces personnalités soit faible (j’en doute un peu).Quoi qu'il en soit devant une lettre signée de Kennedy, gardez l'oeil !